Les mathématiciens suisses du XVIIe siècle

La première contribution suisse importante au développement des mathématiques fut l'oeuvre de Jost Bürgi (1552-1632), originaire du Toggenbourg, horloger de la cour et astronome tout d'abord auprès du landgrave Guillaume IV de Hesse, puis auprès de l'empereur Rodolphe II à Prague et assistant du grand astronome Johannes Kepler (1571-1630). C'est à Prague qu'il calcula une table d'antilogarithmes entre 1603 et 1611. Il n'imprima ses Progress Tabulen, ses tables logarithmiques, qu'en 1620, bien des années après. Entre-temps, le mathématicien écossais John Napier (1550-1617) l'avait devancé en publiant en 1614 et 1619 son travail qui concerne le logarithme d'un sinus. Si d'un côté le "droit d'aînesse" de Bürgi est bien établi par Kepler, Montucla dit, d'une façon qui peut sembler d'une violence gratuite: "Remarquons toutefois que c'est à tort que de l'existence de cet ouvrage donné en 1620, on concluroit que Byrge auroit inventé les logarithmes antérieurement à Neper; car l'ouvrage de Neper avoit paru dès 1614, et c'est l'antériorité des dates des ouvrage, qui, au tribunal de l'opinion publique, décide l'antériorité de l'invention." Au delà de la priorité de publication, Bürgi et Neper travaillent indépendamment l'un de l'autre et les tables de logarithmes, qui répondaient pour les astronomes et les calculateurs à un besoin pressant, connurent un succès immédiat et considérable.
Saint-Gall, la ville de la toile de lin exporté dans toute l'Europe, donne naissance à Habakuk Guldin, qui, devenu Jésuite, prendra le nom de Paul. On le présente ici par les mots de Montucla : Le Père Guldin était né à St.-Gall, en 1577, et ayant abjuré le religion protestante, il entra dans la compagnie de Jésus, en 1597, sous la simple qualité de Frère, ou de Coadjuteur temporel. Mais les talents qu'il montra pour les mathématiques ayant frappé ses supérieurs, on l'envoya les cultiver à Rome, où il professa les mathématiques pendant quelques années. Il les enseigna ensuite successivement à Gratz [où il meurt en 1643] et à Vienne. La principale découverte qui rend l'ouvrage de Guldin (Centrobaryca ou de Centro gravitatis, 1635-1642) recommandable, consiste dans l'application qu'il fait du centre de gravité à la mesure des figures produites par circonvolution.
“Toute figure - dit Guldin - formée par la rotation d'une ligne ou d'une surface autour d'un axe immobile, est le produit de la quantité génératrice par le chemin de son centre de gravité”.
Pendant son séjour en Italie, Guldin rencontre Galileo Galilei (1564-1642), mais c'est avec un autre savant italien, Bonaventura Cavalieri (1598-1647), qu'il a une polémique assez violente. Dans son deuxième livre de la Centrobaryca (1640), Guldin attaque la théorie des indivisibles de Cavalieri sur le plan de l'originalité et sur le plan de la rigueur. Guldin affirme que les idées de Cavalieri viennent de Kepler et de Bartolemeo Souvey.
Bartolomeo Souvey (connu comme Sovero) vient d'une famille de Corbière (Fribourg) et il est né vers l'année 1577. Il sera "Lecteur" de mathématiques à Padoue à partir du mois de novembre 1624 jusqu'à sa mort en 1629. Sa seule oeuvre publiée, Curvi ac recti proportio, est sortie en 1630 en six livres dont le cinquième et le sixième sont les plus importants. Il s'intéresse entre autre aux proprietés des courbes transcendents.

Entre les XVIIe et XVIIIe siècles

Le mathématicien et astronome vaudois Nicolas Fatio (1664-1713) qui fut un collaborateur de Gian Domenico Cassini à Paris et plus tard de Newton en Angleterre, est représentatif d'un âge béni de la révolution scientifique où les savants pouvaient presque tout connaître et tout faire, où les grands esprits de L'Europe étaient en communication permanente, partageaient leurs résultats, se lançaient des défis et se posaient des problèmes les uns aux autres, enfin rivalisaient de rapidité pour apporter des solutions. Emigré à Londres, il est élu à la Royal Society et il s'intéresse entre autres à des problèmes mathématiques mis au concours. L'un de ces problèmes porte sur une question posée par Newton : Quelle est la forme de moindre résistance pour un solide ? Fatio publie en 1701 une réponse élégante à cette question. Comme on le sait bien la période à cheval des siècles XVIIe et XVIIIe c'est l'époque prestigieuse de la dynastie bâloise des Bernoulli qui se pencha sur le calcul infinitésimal, le calcul des probabilités, la théorie des nombres et la physique, en premier lieu Jakob Ier (1654-1705) et Johann Ier (1667-1748) dont le disciple Leonhard Euler (1707-1783) est le mathématicien le plus génial du XVIIIe siècle. De la mort de Fermat en 1665 à la naissance d'Euler en 1707, les conditions de la vie scientifique en Europe ont subi une considérable évolution.
Au temps des amateurs éclairés, échangeant entre eux une abondante correspondance, a peu à peu succédé celui des professionnels appointés, communiquant les résultats de leurs travaux dans des publications spécialisées. Euler fut à tous égards exceptionnelle: la publication de ses Oeuvres complètes, commencée en 1911 sous les auspices de la Société scientifique nationale helvétique a donné lieu à plus de 70 volumes.
D'autres mathématiciens du XVIIIe siècle, d'influence culturelle française ou allemande, sont passer dans l'histoire: Johann Heinrich Lambert (1728-1777) de Mulhouse (ville qui à l'époque - à partir de la paix de Westphalie en 1648 et jusqu'au 1798 - était dans la Confédération Helvétique), Samuel König (1712-1757) de Berne (élève de Johann Bernoulli), Niklauss Fuss (1755-1826) de Bâle, représentèrent les sciences mathématiques au sein des Académies de Berlin et de Saint-Pétersbourg, Gabriel Cramer (1704-1752) et Jean-Louis Calandrin (1703-1758) oeuvrèrent à Genève dans les domaines des mathématiques et de la philosophie.

Le XIXe siècle

Dans son Essai sur une matière de représenter les quantités imaginaires dans les constructions géométriques paru en 1806, Jean Robert Argand (Genève 1768 - Paris 1822) fournit une représentation géométrique des nombres complexes. Après les résultats de Gauss dans ce domaine, on parle du plan D'Argand-Gauss. Au sein de l'école allemande, le fossé se creuse rapidement entre les géomètres, qui privilégient la forme et veulent créer une géométrie purement descriptive, et les analystes, qui favorisent les méthode algébriques. Les représentants les plus intransigeants de la première tendance sont Steiner et Staudt, tandis que Möbius et Plücker refusent de bannir les coordonnées de la géométrie projective.
Fils d'un agriculteur bernois, Jakob Steiner (1796-1863), élève de Pestalozzi à Yverdon, fut professeur de géométrie à l'Université de Berlin. L'oeuvre de Steiner s'inscrit dans le développement de la géométrie projective, après le travail de Poncelet, et consacre le renouveau de l'école mathématique allemand. Steiner devint un spécialiste de la géométrie dite "synthétique", discipline dans laquelle ses ouvrages font encore autorité de nos jours.
C'est au Genevois Charles Sturm (1803-1885) que l'on doit des connaissances importantes en algèbre, en géométrie et en calcul différentiel. Professeur à l'Ecole Polytechnique, auteur d'un cours de mathématiques, Sturm était desservi par une écriture alambiquée. son nom est resté attaché à un théoréme de nature algorithmique sur la recherche des racines réelles des équations algébrique. Sa contribution essentielle est l'étude entreprise avec Liouville de certaines équations différentielles du second ordre avec des conditions aux limites. Il publie ses résultats principaux dans les travaux : Mémoire sur la Résolution des équations numériques (1835) et Mémoire sur les Lignes du second ordre (1825-26).
Ludwig Schläfli (1814-1895) de Graswyll (Berne). Il fait ses études secondaire au Gymnase de Thun et ses études universitaires à l'Université de Berne où, en 1863, il devient Professeur. Il est un des créateurs de la géométrie pluridimensionnelle.

Extrait de Histoire des mathématiques en Suisse, par Lucia Grugnetti, Université de Parme