Par la force de la déduction logique, un logiciel peut-il construire une hypothèse à partir de résultats ? Peut-il inférer des lois physiques à partir d'observations ? En allant plus loin, pourrait-il mener à bien une expérience ? Ce sujet n'est plus un débat de philosophie ou de science-fiction. A ces trois questions, la réponse est oui. D'ailleurs, ces robots savants existent déjà...

La même semaine, deux équipes publient leurs résultats portant sur un même sujet : faire réaliser par un système robotisé le travail d'un scientifique. A l'université d'Aberystwyth, au Pays de Galles (Royaume-Uni), le projet, baptisé Robot Scientist, existe depuis plusieurs années. Là-bas, on vient de mettre la dernière main à Adam – dont le nom est l'acronyme de A Discovery Machine – , un spécialiste de génétique que l'on a fait travailler sur le génome de la levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae). Ross King et ses collègues en rapportent les étonnants résultats dans la revue Science.
Adam est d'abord un logiciel. L'équipe du projet Robot Scientist a mis au point un langage particulier, capable de manipuler des graphes représentant les réactions chimiques connues entre des molécules. Le logiciel est notamment capable de remonter à la structure d'un gène codant pour une certaine protéine (par exemple une enzyme).
Mais Adam n'est pas qu'un logiciel. C'est aussi un robot en ce sens qu'il peut manipuler des sources de réactifs, des boîtes de Petri, un congélateur, un incubateur et quelques autres ustensiles d'un laboratoire de biochimie. Sa première mission était d'identifier les gènes codant pour treize enzymes, dites orphelines, c'est-à-dire dont on ignore le gène correspondant. Adam avait à sa disposition des cultures de différents mutants de la levure, caractérisés par l'inactivation de certains gènes.
A l'issue de son travail logique, ce chercheur débutant a élaboré une série d'hypothèses qu'il a pu tester en analysant le génome de ses levures en culture. Finalement, ce laborantin zélé, qui peut réaliser un millier d'expériences par jour, a émis vingt hypothèses, dont douze ont été vérifiées expérimentalement par des chercheurs de chair et d'os.
De l'autre côté de l'Atlantique, Michael Schmidt et Hod Lipson, du Cornell Computational Synthesis Lab, ont mis au point un algorithme capable de déduire des lois physiques de données issues d'expériences. Pour démontrer ses possibilités, les deux chercheurs viennent de publier dans la même revue Science les déductions réalisées par leur algorithme à partir de plusieurs systèmes oscillants, du pendule simple au pendule double (le second attaché à l'extrémité du premier).
Quant à l'équipe britannique, elle ne compte pas s'arrêter à Adam. Logiquement baptisé Eve, le second robot scientifique du projet aura pour thème de travail la recherche de nouveaux médicaments.
Pour des travaux de laboratoire qui requiert des milliers d'expériences et des déductions portant sur un grand nombre de données, on comprend tout l'intérêt de ce genre d'assistants, capables de faciliter grandement la tâche d'une équipe de chercheurs. De tels laboratoires automatisés pourraient aussi jouer un rôle dans l'analyse d'échantillons à la surface d'une autre planète.
On est cependant encore loin d'un système robotisé capable de conduire une recherche complète et de publier un résultat, bref de remplacer intégralement un scientifique... (Pour information, cet article a été rédigé de manière réellement digitale, c'est-à-dire avec de vrais doigts guidés par un cerveau humain avec la seule assistance logicielle d'un traitement de texte.)

Source : Futura-Sciences