dimanche 8 février 2009
Peut-on faire confiance à Google (et à nous-mêmes) ?
Par coyote, dimanche 8 février 2009 à 09:41 - Articles / revues
Article du Le Figaro, le 6 février 2009
Plus une semaine ne se passe sans que Google sorte un nouveau service. Cette semaine, il s'agit de Google Latitude, un programme à installer sur votre smartphone (seul certains modèles sont supportés pour l'heure), qui permet aux contacts de votre choix de connaître votre position exacte. Comment çà marche ? Avec une puce GPS si votre portable en est équipé, ou en réalisant une triangulation à partir des antennes-relais à proximité. Petite démo en vidéo made in Google:
Est-ce vraiment nouveau ? Non, loin de là . De nombreuses start-up se sont positionnées sur ce créneau du réseau social géolocalisé, avec bien souvent des fonctions bien plus évoluées que celles proposées par Google Latitude. Google avait même acheté en 2005 Dodgeball, un service basé sur ce principe (mais fonctionnant à partir d'une position déclarée via SMS et non traquée par GPS), dont il a annoncé la fermeture à la mi-janvier.
Est-ce inquiétant ? Oui et Non. Non, parce que, somme toute, Google promet des garanties à l'endroit de Latitude. Vous pouvez choisir de laisser Google vous positionner en temps réel ou procéder à une délcaration manuelle et ponctuelle. Vous pouvez choisir au cas par cas lesquels de vos contacts vous « voient » sur leur carte et avec quelle précision. Enfin, Google assure ne pas conserver l'historique de vos positions, point le plus sensible en matière de protection de la vie privée. Surtout, faisons-nous l'avocat du diable, personne ne vous oblige à vous y inscrire.
Oui, parce que le produit de Google n'est évidemment pas désintéressé. Votre position à un instant T est une donnée fondamentale pour vous envoyer des publicités plus ciblées, et donc ayant plus de valeur pour l'annonceur et pour Google.
Oui, parce que les barrières mises en place par Google sont loin d'être infranchissables. L'ONG Privacy International, qui reconnaît les efforts de l'entreprise pour installer des garde-fous, a cependant établi quelques scénarios intéressants. Je vous en livre ici quelques uns : Votre employeur vous fournit un téléphone de fonction sans vous prévenir que Latitude y a été installé et configuré à l'avance pour lui indiquer votre position à tout instant. Votre conjoint(e), un peu jaloux, installe Latitude sur votre portable pendant que vous êtes sous la douche, etc... Ces scénarios n'ont rien d'improbable, et je suis prêt à prendre les paris que l'on verra bien quelques exemples de divorces et licenciements prononcés avec l'aide gracieuse de Google ;) (Cela étant, Google promet de peaufiner un système d'alerte pour signaler régulièrement à l'utilisateur que Latitude tourne sur son portable).
Oui, parce que Google est une montagne à côté des souris que peuvent être Loopt et autres start-up sur le même créneau. Une entreprise qui ne connaît que ma position en temps réel représente un danger potentiel moindre pour le respect de ma vie privée qu'une entreprise qui sait déjà ce que je lis, ce que j'écris, ce que je clique, à qui je parle, ce que je prends en photo, quelles vidéos j'enregistre ou je regarde sur YouTube, voire mes données médicales, etc... Toutes ces données prises isolément ont peu de valeur et présentent peu de danger pour ma vie privée. Mais en la matière, le croisement de toutes ces données, de tous ces fichiers, est le nerf de la guerre. Or Google est passé maître dans l'art d'être rarement le meilleur élève de la classe dans une matière, mais d'avoir la meilleure moyenne générale. Il est évidemment infiniment plus facile et pratique de synchroniser son calendrier Google, son mail Google, ses cartes Google, ses flux RSS Google, son réseau social géolocalisé Google, etc. (encore que depuis quelques temps, Google n'est plus infaillible et taille dans ses services sans trop de scrupules pour ses utilisateurs), que de conserver ces différentes données dans des containers étanches...
Le danger n'est pas celui d'un Big Brother. Pas d'œil étatique braqué sur vous. Il s'agit de mise sous surveillance volontaire. Ce que certains appellent, par opposition à la notion d'Orwell, une « Little Sister ». Je décide de compléter ma propre fiche Edvige, en quelque sorte...
Alors bien sûr, en toute hypothèse, vous restez libre. Aucun bracelet électronique à votre cheville. Mais c'est sans compter sur la douce mais puissante pression sociale. Qui peut savoir comment, dans 5, 10 ou 20 ans, seront regardées les personnes qui n'auront pas de profil sur un réseau social racheté par Google ? Que dirons-nous de ceux qui refuseront de se faire géolocaliser en temps réel avec leur portable ? Daignerons-nous encore parler à des gens auxquels il faudra toujours passer un coup de fil pour demander « t'es où ? » lorsqu'ils seront en retard à un rendez-vous ? Laisserons-nous encore nos enfants gambader en liberté sans les voir se déplacer lentement sur une carte ? Le mensonge sera-t-il toujours au nombre des options de l'être humain ?
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