L’ordinateur aura eu raison du champion du monde de go. En raflant ce samedi la troisième manche, contre le sud-coréen Lee Sedol, AlphaGo remporte donc le duel historique.
Lee Sedol, qui célébrait son dixième anniversaire de mariage aujourd’hui, s’est excusé de ne pas avoir répondu aux attentes de ceux qui le regardaient. «Je me suis senti impuissant. Je n’avais jamais ressenti autant de pression».
Le nom du vainqueur a beau être connu, la partie continue et les deux dernières manches se joueront quand même aujourd'hui et mardi. Pour les spécialistes de l’intelligence artificielle comme pour le monde du go, hors de question en effet de rater l’occasion de voir jouer AlphaGo, ce nouveau champion qui a créé la surprise cette semaine à Séoul.
L’ancêtre nord-coréen d’AlphaGo
Si AlphaGo est le premier à avoir battu un joueur professionnel, des programmes d’un niveau inférieur existent depuis près d’un demi-siècle. En 1968, l’Américain Alfred Zobrist mettait au point le premier ordinateur capable de battre un débutant.
Et dans la catégorie amateurs, l’un des meilleurs a longtemps été… Nord-coréen. En 1996, le Centre Informatique Coréen, un institut consacré à l’informatique et au développement de logiciels à Pyongyang, lance Eunbyul, ou Etoile argentée. Il devient alors en Asie l’un des plus populaires dans sa catégorie, remportant même plusieurs compétitions internationales. «Pendant plusieurs années, il a été l’un des meilleurs programmes pour les amateurs», confirme HR Lee, journaliste spécialiste du go pour le grand quotidien Chosun. En 2006, un Sud-Coréen en achète les droits d’importation pour le commercialiser au Sud.
«La Corée du Nord a toujours été plus forte en logiciels qu’en matériel informatique. Dans un domaine avec une forte composante culturelle comme le Go, ce n’est donc pas surprenant. Et à l’époque, dans les années 90, il ne devait pas y avoir beaucoup de concurrents en Chine, au Japon ou en Corée du Sud», commente Martyn Williams, journaliste pour le site spécialisé North Korea Tech. «Le Centre Informatique Coréen joue un rôle clé dans le développement et le lancement de nombreuses applications, tout en œuvrant au fonctionnement de l’intranet national».
Une activité intellectuelle
La Corée du Nord est membre de la fédération internationale de go depuis 1995, mais compte uniquement des joueurs amateurs. En 1992, Moon Yong-sam devient le premier Nord-Coréen à participer au Championnat du monde amateur. Dénigré jusqu’aux années 80, ce sport se serait développé avec la vague d’immigration de Japonais d’origine coréenne dans les années 60 et 70. Désormais, le go est considéré comme une activité intellectuelle dont les autorités font la promotion. Il serait même enseigné dans certaines maternelles. Mais il est réservé à une élite, et se joue essentiellement à Pyongyang et à Hamhung, la deuxième ville du pays.
Kim Heung Kwang, réfugié et directeur de l’association «Solidarité des intellectuels nord-coréens», raconte que sa fille a commencé à jouer quand elle avait 6 ans. «A l’époque, acheter un jeu de go coûtait l’équivalent d’un mois de salaire. Maintenant, les plateaux de bois nécessaires pour le jeu sont produits en plus grande quantité, et leur prix a donc baissé», raconte-t-il.
Source : Eva John, Libération