A l’énoncé d’une interrogation écrite de mathématiques dans une classe de trente élèves, vingt-sept vont râler, s’interroger du regard, reluquer par-dessus l’épaule du voisin, bricoler des réponses présentables. Parmi les trois restants, il y a toujours un virtuose à qui il ne faut pas plus de dix minutes pour résoudre toutes les équations - le nôtre n’est rien de moins que le fils de Monsieur le Principal. On trouve aussi son symétrique parfait, le cancre assumé qui avec un certain panache rend d’ores et déjà copie blanche - à quoi bon faire semblant de répondre à des questions auxquelles on ne comprend rien, a fortiori des équations, capables de tout calculer honnis les fortes probabilités qu’on a de se retrouver bientôt au chômage. En faire autant m’obligerait à adopter une posture difficilement tenable : croiser les bras pendant une heure en défiant du regard le prof, je ne me connais ni cette patience ni cette effronterie. Aussi, quitte à récolter un fatidique zéro, vaut-il mieux employer ce temps à faire acte de résistance créative. Car que me demande-t-on dans chacune de ces équations à une inconnue sinon déterminer à quoi est égal X ? C’est qui ce X, omniprésent, qui prolifère au point d’en devenir le signe même de la multiplication ? Titre en haut de la copie : X, cet inconnu. Ou la triste histoire du plus célèbre anonyme de l’alphabet, si maltraité en français, si célébré dès qu’il passe à l’ennemi, la mathématique : elle l’a imposé dans ses théorèmes, ses axiomes, ses postulats. Elle en a fait une fonction, une variable, une abscisse, une clé universelle à tous les problèmes. Ne désigne-t-il pas en personne l’École polytechnique ? Me voilà lancé dans une complainte contre X. Et tel un analphabète, je signe mon devoir d’une croix.
Le zéro qui s’ensuit n’est pas une punition mais un trophée. Pour les mathématiciens, il est le commencement de tout. Mais au fond qu’ai-je fait sinon obéir scrupuleusement à un ultimatum du corps enseignant ? Doit faire ses preuves à l’écrit.

Extrait du livre (pp 93-94) : Porca miseria de Tonino Benacquista

Merci à Jean-Marie Lambert de m'avoir transmis ce savoureux extrait.