Sécuriser des données pour 2.000 ans sur un support inaltérable qui ne réclame aucun effort de conservation, c’est possible : une jeune entreprise française, Arnano, propose de les graver sur un disque de saphir, sous forme analogique et sans codage. À coup sûr, les générations suivantes sauront les lire. Un des fondateurs de cette société, Alain Rey, a répondu aux questions de Futura-Sciences.
Que deviendront les données que nous enregistrons sur CD, DVD, disques durs, cartes mémoire ou clés USB ? Elles disparaîtront à plus ou moins brève échéance, c’est une certitude. Le problème est connu depuis longtemps, conduisant à distinguer le stockage, enregistrement à court terme, de l’archivage, pour conserver durablement des données précieuses. Quand il s’agit de conserver des documents sur de très longues périodes, pour des raisons réglementaires par exemple, comme c’est le cas dans l’aéronautique ou dans les industries à risques, notamment le nucléaire.
Nos anciens utilisaient le papier, voire le parchemin et même, plus loin de nous encore, la gravure et la peinture sur la roche. Aujourd’hui, la solution classique est la microfiche, ou microfilm, consistant à photographier le document. Un principe analogique, donc. Le numérique semble en effet hors course pour le long terme…
« Le numérique est merveilleux mais n’est pas sécurisé », conclut à Futura-Sciences Alain Rey, un des fondateurs de la société Arnano, spin-off du CEA-Leti. Son entreprise s’est fait une spécialité originale : graver à l’aide d’un laser des motifs holographiques et microscopiques, à l’échelle du micromètre, sur des surfaces dures, comme du verre ou du saphir. La société travaille notamment pour l’industrie horlogère pour inscrire des codes d’authentification, par exemple des logos invisibles à l’œil nu. Le principe de gravure au laser permet de s’affranchir des masques de la microélectronique, très coûteux et qui sont réservés à des productions de masse.
Une gravure microscopique dans du saphir
Son disque d’archivage est gravé de manière similaire. Une surface de saphir synthétique (transparent), de 0,7 mm d’épaisseur, est recouverte de nitrure de titane, « qui sert d’encre », explique Alain Rey, et le laser y dessine les motifs. Ensuite un second disque de saphir est appliqué par-dessus. Après chauffage, il se produit une sorte de collage moléculaire et les deux plaques ne font plus qu’une, liées dans le même réseau cristallin. « Le saphir est juste un peu moins dur que le diamant, rappelle Alain Rey. Il est solide, il résiste à tous les produits chimiques et il tient à la chaleur jusqu’à 1.700 °C. » Et d’ajouter qu’il ne craint pas les rongeurs, à la différence des microfiches.
La forme finale est donc un disque, mais il n’a rien d’un DVD. La forme circulaire, d’un diamètre de 200 mm, vient de la forme initiale des lingots de saphir synthétique mais aussi des machines-outils de la microélectronique, adaptées aux galettes de silicium. Inutile de le glisser dans un lecteur. Pour le codage, c’est l’analogique qui a été choisi. « Le numérique souffre de trois obsolescences. Le média, d’abord. Les CD et DVD ne durent que de 3 à 10 ans. Les bandes magnétiques, 30 ans. Le logiciel ensuite. Un texte écrit avec Word 1 aura bien du mal à être lu aujourd’hui, par exemple. De même, les encodages des CD et DVD, très efficaces, utilisent des algorithmes complexes, ce qui permet de corriger les erreurs. Mais tout cela repose sur des techniques propriétaires, qui changent au fil des années. Comme média, nous utilisons le saphir, inaltérable. Pour l’enregistrement, nous avons recours à l’analogique : les documents sont des images, simplement réduites en taille. Il n’y a aucun codage. Pour les lire, il suffit de grossir. Quelle que soit la technique qu’ils utiliseront, nos descendants sauront le faire. » Pour l’heure, la lecture peut s'effectuer avec un petit microscope à brancher sur un ordinateur, avec une caméra à haute résolution munie d’un zoom ou encore avec un scanner spécial qui fournira des fichiers, textes ou images.
Par-delà les générations...
En tout, un disque de 200 mm de diamètre permet d’enregistrer jusqu’à 10.000 pages A4. Ce travail sur mesure est facturé 3.000 euros sur du verre et 10.000 sur du saphir, soit respectivement 30 centimes et 1 euro la page. Mais pour ce prix, le disque n’aura pas besoin d’être conservé dans des conditions particulières. Il pourra être abandonné à peu près n’importe où… L’Andra, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, a déjà passé commande pour un archivage sur saphir.
« L’archivage au-delà de 30 ans est peu pris en compte. Mais des entreprises ont conscience de cette nécessité. La SNCF, par exemple, qui mesure la valeur patrimoniale des documentations techniques de ces locomotives. Et Ferrari attache beaucoup d’importance à la conservation de tout ce qui a trait à ses anciens modèles. » C’est vrai, notre société produit énormément d’informations, plus que jamais dans l’histoire de l’humanité. Mais combien d’entre elles traverseront les siècles ?
Source : Futura-Science