Pour célébrer le centenaire du pionnier de l'informatique Alan Turing, huit étudiants en master de l'Ecole normale supérieure de Lyon ont fabriqué une sorte d'ordinateur en Lego, entièrement mécanique. Ils exposeront leur machine le 2 juillet à l'ENS de Lyon, lors de la journée ouverte au publique d'un colloque en l'honneur de ce scientifique britannique pionnier et visionnaire. Elie appuie sur le bouton d'un compresseur d'air. Pssschiiit ! La machine peut démarrer. Puis l'étudiant bascule un levier noir un peu branlant. «Tchou, tchou...», le mécanisme imite le bruit d'un train et se met en branle. Des bielles bougent, des axes tournent, des cylindres pivotent, des leviers se lèvent et s'abaissent. Un long rail avance lentement. Un calcul est en route. Quinze minutes plus tard, la machine aura inversé les trois lettres d'un mot.

L'ASSEMBLAGE DE LEGO EN ACTION


The Turing Machine Comes True par CNRS The Turing Machine Comes True par CNRS


« Nous étudions le modèle de la machine de Turing en première année . Sur le papier c'est bien, mais en vrai c'est mieux ! », constate l'un des étudiants un peu fou qui a assemblé ces 20000 à 30000 pièces (ils ne savent même plus) et ces 50 mètres de tuyaux entre septembre 2011 et mars 2012. Une machine de Turing est un modèle, proposé par son auteur en 1936, pour définir ce qu'est le calcul. Ce mathématicien a notamment démontré, grâce à cette machine théorique, que tout n'est pas calculable.
Pour leur module de gestion de projets, les étudiants ont donc décidé de rendre concrète l'idée théorique du chercheur britannique, mort en se suicidant à 42 ans en 1952. Ils ont même poussé l'ambition jusqu'à n'utiliser aucune électronique, ce qui serait selon eux unique au monde. La machine baptisée RUBENS (jeu de mot avec ENS), pourrait même fonctionner sans électricité puisque le compresseur d'air, à deux bars seulement, peut être remplacé par une pompe à vélo manuelle.
L'équipe s'est répartie les taches pour venir à bout de l'aventure : théorie, communication, direction, et fonctions particulières de la machine comme la mémoire ou le séquenceur. Un étudiant en thèse au Laboratoire d'informatique du parallélisme, Kévin Perrrot, les a encadrés. La mise au point n'a pas été simple, les briques de Lego ayant tendance, en mouvement, à avoir un peu trop de jeu. Les frottements trop importants ont même eu raison d'une première version de la machine. Il faut dire que le groupe a tenu à ne pas utiliser de colle et n'a modifié aucune des pièces, achetées d'occasion sur le web, ce qui donne un côté bigarré à l'ensemble.
Le spectateur repère assez bien les principales fonctions de la machine théorique inventée par Turing. Il y a le ruban découpé en cases dans lesquelles une tête peut lire des bits d'information (une brique jaune en l'occurrence) et en écrire aussi. Cette « tête » fait avancer ou reculer le ruban. Il y a aussi le coeur de la machine, sa table de transition ou « programme » dans laquelle sont « inscrites » les instructions. C'est la partie la plus grosse. « On a dû recourir à des volontaires supplémentaires pour assembler cette partie un peu répétitive », témoigne l'un des équipiers. A côté, une partie « alimentation » transforme la pression de l'air en mouvement de rotation, dont des séries d'engrenages modifient les vitesses. Enfin, deux cylindres, les séquenceurs, tournent afin de donner le tempo à l'ensemble.
Au milieu de ces briques grises, rouges, jaunes ou noires, de petits tuyaux bleus serpentent. La lenteur du processus permet de suivre chaque étape (et à l'opérateur de remettre en place des briques qui se détachent !). «On a pioché des idées sur les sites spécialisés dans les constructions techniques de Lego. Comme par exemple le bloc qui permet de transformer la rotation d'un axe en un mouvement de levier. Et on a aussi laissé tomber pas mal d'idées », se souvient Elie, le chef du projet.
Ce calculateur fonctionne donc mais les étudiants ne veulent pas s'arrêter là. Après la présentation publique, ils envisagent l'étape suivante : une machine de Turing universelle. C'est-à-dire une machine capable de simuler toutes les autres. Pour cela sur le ruban, l'opérateur entre non seulement les données à traitées mais aussi les instructions du programme. De quoi ne pas cantonner cette belle machine à l'inversion de trois lettres.«Dans quelques mois cette machine sera capable de réaliser les mêmes calculs qu'un ordinateur moderne, ni plus, ni moins», affirme Kévin Perrot. «Mais pour effectuer ce qu'un téléphone portable réalise en 1 seconde, il faudrait à notre machine 3168 ans 295 jours 9 heures 46 minutes et 40 secondes», ajoute-t-il. Il faudra aussi trois fois plus de tuyaux...

Source : LeMonde.fr