Le livre III décrypté en 1998
Le
livre III est largement composé de tables de nombres, dont les colonnes sont
surmontées par des symboles zodiacaux et planétaires, suggérant des données
astronomiques. Contrairement aux deux premiers livres, il y a peu d'indices
pour aider à déchiffrer le contenu.
Pendant des siècles, les érudits ont débattu si le troisième livre (incomplet)
de Steganographia contenait des messages chiffrés. Beaucoup conclurent
qu'il ne contenait pas de secrets cryptographiques et donnait simplement des
opérations magiques n'intéressant que les occultistes.
Néanmoins, la préface du livre III commence en annonçant que le but provocateur
est de présenter une méthode de transmission de messages à distance sans l'utilisation
de mot, livre ou messager. Trithème prévint cependant qu'il s'était exprimé
de manière délibérément obscure:
" J'ai fait en sorte que pour les hommes de savoir et ceux profondément
engagés dans l'étude de la magie, il pourrait être, par la grâce de Dieu, intelligible
à un certain point, tandis que, d'un autre côté, pour les mangeurs de navets
à peau épaisse, il pourrait rester un secret caché pour toujours et être pour
leurs esprits bornés un livre fermé à tout jamais."
Jim Reeds d'AT&T Labs à Florham Park, N.J., ne put résister à relever
ce défi vieux de plusieurs siècles.
"En recevant une photocopie de Steganographia, Je décidai de voir
si je pouvais trouver des messages cachés dans le livre III," raconte Reeds
dans un article publié dans le journal Cryptologia.
"Je savais que le livre III était probablement à l'état de brouillon. Donc
il pourrait manquer des informations importantes; la version imprimée n'avait
évidemment pas subi de correction de l'auteur."
En même temps, il note que "puisque le livre III ne ressemblait pas aux
livres I et II, il était probablement inutile d'essayer de suivre les instructions
données dans le texte. De plus, je pouvais espérer que certains textes clairs
seraient courts et banals."
Reeds eut une intuition heureuse. Il supposa que le chiffre était numérique
et que les tables étaient à lire en colonne, verticalement. Il décida aussi
que la table accompagnant la préface était sous forme de clef , dans laquelle
les lignes successives décrivent les blocs de 25 caractères chacune, ce qui
pourrait indiquer des formules distinctes de chiffrement, faisant correspondre
des lettres à des nombres.
Reeds commença à réécrire la première table numérique, écrivant les colones
en lignes, excluant tous les en-têtes et les données n'apparaissant pas dans
les colonnes originales, et remplaçant tous les symboles non numériques par
le signe "/". Voici un exemple:
/ 644 650 629 650 645 635 646 636 632 646 639 634 641 642 649 642 648 638
634 647 632
630 642 633 648 650 655 626 650 644
638 633 635 642 632 640 637 643 638 634 / 669 675 654 675 670 660 675 661
651 671 664
659 666 667 674 667 673 663 659
672 657 655 667 658 673 675 660 651 675 669 663 658 660 667 637 665 662 668
663 659 /
694 700 679 700 695 685 696 686
Il remarqua que les "/" divisent les 160 premiers nombres
en 4 blocs de 40 nombres chacun. De plus, pour chaque bloc, presque tous
les nombres sont dans un intervalle numérique particulier.
Reeds écrivit les 4 blocs que 40 nombres sur 4 lignes, disposées l'une
en dessous de l'autre, pour voir s'il y avait des similarités dans la
structure des lignes:
644 |
650 |
629 |
650 |
645 |
635 |
646 |
636 |
632 |
646. . . |
669 |
675 |
654 |
675 |
670 |
660 |
675 |
661 |
651 |
671. . .
|
694 |
700 |
679 |
700 |
695 |
685 |
696 |
686 |
632 |
696. . .
|
719 |
725 |
704 |
725 |
720 |
710 |
721 |
711 |
707 |
721. . .
|
Il trouva que, à quelques exceptions près, un nombre dans une ligne donnée
était plus grand de 25 au nombre corrrespondant de la ligne au-dessus.
"Bien que je ne sache pas encore qu'il y avait un chiffre présent,"
dit Reeds , "il était clair, au vu de l'émergence de cette structure, qu'il
y avait assez de vrai dans mon intuition initiale à propos de la lecture des
colonnes et de l'importance du chiffre 25 pour aller plus loin."
"Et si il y avait un chiffre présent, sa découverte serait sûrement due
à la présence de quatre copies d'un isologue: quatre copies du même texte
clair chiffré de manières différentes mais liées" continue-t-il. "Si
je savais comment lire les parties du texte chiffrées avec des nombres compris
entre 626 et 650, je pourrais probablement utiliser la même recette pour lire
les parties chiffrées avec les nombres compris entre 651 et 675: simplement
en soustrayant 25 de chaque nombre et en procédant comme avant."
Reeds continua de noter la fréquence de chacun des 25 nombres différents d'une
ligne:
626 1 |
631 0 |
636 1 |
641 1 |
646 2
|
627 0 |
632 3 |
637 1 |
642 4 |
647 1
|
628 0 |
633 2 |
638 3 |
643 1 |
648 2
|
629 1 |
634 3 |
639 1 |
644 2 |
649 1
|
630 1 |
635 2 |
640 1 |
645 1 |
650 4
|
La distribution semble suffisamment irrégulière pour correspondre avec un texte
latin ou allemand; ce n'est sûrement pas une suite aléatoire de lettres. Quelques
essais révèlent qu'un alphabet rétrograde de 22 lettres s'ajuste bien à la fréquences
des distributions observée: 650 = A, 649 = B, etc., avec un alphabet comprenant
les lettres A, B, C, D, E, F, G, H, I, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, X, Y, Z,
augmenté de trois symboles additionnels au-delà du Z (arbitrairement désigné
alpha, bêta, and gamma).
Appliquée aux 40 nombres de la première ligne, cette intuition donne: gazafrequenslibicosduyitca?[gamma]agotriumphos.
C'est certainement prononçable, et cela sonne comme des mots latins. Des indices
supplémentaires aidèrent Reeds à dévoiler le schéma que Trithème a utilisé.
Par exemple, le symbole bêta est en réalité la séquence de lettres sch,
commune en allemand, et ce que Reeds pensait être un x est un w.
Il découvrit ensuite que alpha est tz et gamma th.
"Un dernier coup de chance facilita l'identifiaction de l'alphabet de chiffrement,"
dit Reeds. Il lança une recherche sur Internet pour la phrase de deux mots gaza
frequens et tomba sur le passage latin Gaza frequens Libycos duxit Carthago
triumphos... Cela confirma que gamma est bien th et suggéra
que la lettre que Reeds avait désignée par y est en fait un x.
Les chiffres du livre III s'avèrent être des chiffres de substitution numérique,
avec des équivalents numériques multiples fournis pour chaque lettre du texte
clair, conclut Reeds.
Th |
Sch |
Tz |
Z |
X |
W |
U |
T |
S |
R |
Q |
P |
O |
N |
M |
L |
I |
H |
G |
F |
E |
D |
C |
B |
A |
01 |
02 |
03 |
04 |
05 |
06 |
07 |
08 |
09 |
10 |
11 |
12 |
13 |
14 |
15 |
16 |
17 |
18 |
19 |
20 |
21 |
22 |
23 |
24 |
25 |
26 |
27 |
28 |
29 |
30 |
31 |
32 |
33 |
34 |
35 |
36 |
37 |
38 |
39 |
40 |
41 |
42 |
43 |
44 |
45 |
46 |
47 |
48 |
49 |
50 |
51 |
52 |
53 |
54 |
55 |
56 |
57 |
58 |
59 |
60 |
61 |
62 |
63 |
64 |
65 |
66 |
67 |
68 |
69 |
70 |
71 |
72 |
73 |
74 |
75 |
76 |
77 |
78 |
79 |
80 |
81 |
82 |
83 |
84 |
85 |
86 |
87 |
88 |
89 |
90 |
91 |
92 |
93 |
94 |
95 |
96 |
97 |
98 |
99 |
00 |
Le texte s'avère être quelque peu altéré, ce qui indique probablement que des
parties ont été perdues au cours des années ou étaient manquantes dès de départ.
Ainsi, le texte actuellement disponible représente un peu plus qu'une collection
de fragments de phrases isolés. Ces fragments ne révèlent rien d'étonnant: des
phrases banales en latin et en allemand, dont une qui peut être librement traduite
par "le porteur de cette lettre est une sale crapule et un voleur."
"Le livre III contient des cryptogrammes," dit Reeds. "comme
ceux des livres I et II, ils sont dissimulés et présentés dans un contexte de
magie angélique." Cependant, la technique cryptographique est différente
parce que les lettres sont représentées par des nombres, pouvant faire croire
à des données atronomiques, au lieu d'être cachées dans une grande masse de
lettres.
Trithème pourrait avoir choisi le langage des anges non pas pour promouvoir
la magie, mais comme un stratagème pour attirer l'intérêt du lecteur. "S'il
en est ainsi," dit Reeds, "il a largement réussi, même s'il s'est
mépris sur la manière dont le livre serait reçu."
Pour terminer, il apparaît que Reeds ne fut pas le premier à révéler les chiffres
du livre Steganographia. Thomas Ernst, actuellement professeur
d'allemand au lycée La Roche de Pittsburgh, avait résolu le problème plusieurs
années auparavant, alors qu'il était élève de l'université de Pittsburgh. Il
avait écrit un article en allemand décrivant sa solution, qui fut publiée en
1996 dans le journal hollandais Daphnis, mais apparemment personne n'y
avait prêté attention.
En 1676, un obscur personnage nommé Wolfgang Heidel avait aussi prétendu
avoir décrypté le livre III, mais ses conclusions furent contestées quand il
insista pour écrire sa découverte dans son propre code! Ernst soupçonne fortement
Heidel d'avoir résolu le chiffre de Trithème.
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