Les Allemands ont utilisé, à partir de 1918, un chiffre inspiré
du carré de Polybe, le GEDEFU 18
(GEheimschrift DEr FUnker 18: chiffre des radiotélégraphistes 18). Les coordonnées
des lettres dans le carré n'étaient pas données par des chiffres, mais par les
lettres A D F G X. Ces lettres ont été choisies de façon que leurs correspondances
en morse soient très différentes les unes
des autres, de façon à éviter les erreurs de transmission par radio (TSF). L'originalité
de ce système venait que le texte obtenu après une première substitution était
ensuite soumis à une permutation des colonnes du carré. Ce chiffre, connu sous
les lettres ADFGX est l'oeuvre du colonel allemand Fritz
Nebel.
C'est grâce au génie de Georges-Jean Painvin, ancien major de l'école
polytechnique, entré en tant que réserviste au service du chiffre, que les français
vont réussir, entre avril et mai 1918, à pénétrer le système de chiffrage allemand
mis en service début mars. Mais dès juin, les Allemands ne se contentent plus
de leurs lettres A D F G X, voici qu'apparaît en plus la lettre V. Les Allemands
utilisèrent en effet pour leurs chiffrements deux modèles de carrés: l'un de
25 lettres, l'autre de 36 symboles, ce dernier étant obtenu par l'adjonction
des 10 chiffres à un alphabet complet. Le carré de substitution était construit
grâce à une clef qui changeait quotidiennement. Le chiffre utilisant le carré
de 36 symboles est connu sous le nom de chiffre ADFGVX.
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Georges-Jean Painvin (1886-1980) |
Chaque caractère du message est chiffré par un couple de lettres: la première lettre donne la ligne de la case du caractère à chiffrer, la seconde donne sa colonne. Par exemple, 5 est codé DG.
Texte clair | o | b | j | e | c | t | i | f | a | r | r | a | s | 1 | 5 | h |
Texte chiffré intermédiaire | AF | DV | AX | VD | AA | DF | FA | AG | FF | XD | XD | FF | FX | AD | DG | GV |
On surchiffre ensuite le cryptoramme obtenu avec une transposition, c'est-à-dire un mélange des lettres. La clef secrète étant MARCEL, on place ce mot en tête d'une nouvelle grille où l'on inscrit ensuite, ligne après ligne, le cryptogramme intermédiaire que l'on vient d'obtenir (grille 1). Puis on réorganise les colonnes selon l'ordre alphabétique croissant des lettres de la clef (grille 2).
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Il ne reste ensuite plus qu'à lire les lettres de haut en bas et de gauche à droite.
Texte chiffré final: FD AD XV VA GD DA DF FD XF FF GA VF XF GD AA XA.
On va remplir un tableau de 6 colonnes. Comme le cryptogramme comporte 32 lettres,
il faudra 6 lignes. Mais comme 6x6=36, il y aura 4 (36-32) colonnes incomplètes,
qui ne comporteront que 5 lignes.
On prépare donc un tableau, avec le mot-clef, puis, en-dessous, l'ordre
des lettres dans l'alphabet. On va remplir les colonnes avec le cryptogramme
selon cet ordre, en prenant bien garde de ne remplir complètement que
les 2 premières colonnes (ici la no 5 et la no 1).
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On lit ensuite le tableau ligne par ligne pour retrouver l'antigramme : AF
DV AX VD AA DF FA AG FF XD XD FF FX AD DG GV.
Il ne reste plus qu'à lire dans le tableau de chiffrement les lettres
du message clair : AF = "o", DV = "b", etc.
Utilisez le programme javascript ci-dessous pour vous familiariser
avec ce chiffre. Écrivez dans la partie verte le message clair (ou le cryptogramme
dans la partie jaune) sans caractères spéciaux (au besoin prétraitez
le texte). Ecrivez ensuite le mot-clef utilisé pour remplir la grille. Ecrivez
enfin soit le mot-clef, soit la permutation elle-même.
La permutation est une suite de nombres qui se comprend comme ceci : (3, 1,
2) signifie que la première colonne est la 3, la deuxième la 1
et la dernière la 2.
La traduction française du radiogramme (authentique) chiffré ci-dessus est : «Hâtez l'approvisionnement en munitions, le faire même de jour tant qu'on n'est pas vu». Il était destiné à une grande unité allemande de la région de Remaugis au Nord de Compiègne et, par conséquent, indiquait le lieu de l'attaque allemande. Painvin, après un travail acharné, réussit à reconstituer la grille et la permutation, et parvint ainsi à le décrypter. Le message fut transmis au GQG de Foch qui fut convaincu de l'imminence de l'attaque sur Compiègne. Les dernières troupes de réserve furent placées autour de la ville et repoussèrent l'attaque. Ce fameux message décrypté a reçu le nom de Radiogramme de la Victoire.
Cet exploit valut à Painvin d'être fait Chevalier de la Légion d'Honneur à titre militaire le 10 juillet 1918 avec la mention: "a depuis le début de la Campagne rendu des services exceptionnels aux Armées". Cette mention peut paraître aujourd'hui fort sibylline tant l'exploit réalisé par Painvin et ses conséquences sont immenses; mais en France, les travaux effectués par le Service du Chiffre sont considérés comme secret militaire pendant 50 ans. Ce n'est qu'en décembre 1962 que l'exploit de Painvin fut enfin rendu public par un article écrit par le général Desfemmes. Le mérite de Painvin fut finalement justement couronné par son élévation au grade de Grand Officier de la Légion d'honneur le 19 décembre 1973. Notons que jusqu'à la levée du secret militaire, Painvin n'avait jamais parlé à quiconque, y compris à ses plus proches collaborateurs, de ses travaux de cryptologie au service de l'Armée, ni révélé son décryptage historique du "Radiogramme de la Victoire". Pour la petite histoire notons aussi que le secret militaire fut si bien gardé pendant toutes ces années que le colonel de l'armée allemande Nebel, le très ingénieux inventeur du chiffre ADFGVX, ne sut qu'en 1967 que son chiffre avait été cassé, ce qui fut pour lui une immense et fort désagréable surprise.
Ecrivez un programme Python qui chiffre et déchiffre un texte avec le
chiffre ADFGVX. Corrigé.
Didier Müller, 12.7.24 |