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Le 12 février 1679, l'astronome Jean
Dominique Cassini (1625-1712), dit Cassini I, car il est le premier
d'une dynastie de cinq savants dont quatre présideront à la destinée de
l'Observatoire de Paris, présente à l'Académie des sciences sa carte de
la Lune. II s'agit d'un tirage d'une gravure sur cuivre où la Lune mesure
53 centimètres de diamètre. Le graveur, connu grâce aux registres des
Comptes des Bâtiments de Louis XIV, est Jean Patigny.
Sur cette carte, plusieurs éléments surprennent. Certains n'apparaissent
qu'aux yeux des spécialistes, nous y reviendrons, d'autres sont flagrants
même pour les profanes. En effet, ces derniers ne peuvent manquer de remarquer,
d'une part, le grand coeur gravé au fond de la mer de la Sérénité (à gauche
de la carte) et, d'autre part, le visage féminin, véritable figure de
proue, dessiné en lieu et place du promontoire d'Héraclides (en bas, à
droite). La présence de ces deux "anomalies" révèle qu'une carte au contenu
scientifique est devenue une oeuvre d'art dissimulant peut-être un témoignage
d'amour. Une carte de la Lune en guise de carte du Tendre.
Observée à la lunette astronomique, la mer de la Sérénité ne montre aucun
coeur: celui de la carte ne serait-il pas un message, certes un peu naïf,
que Cassini adresse à un être aimé? À qui était-il destiné? Plusieurs
hypothèses s'affrontent. L'astronome est arrivé en France en 1669 à la
demande du Roi-Soleil. Aurait-il voulu, par exemple, lui rendre un hommage
indirect en dédiant sa carte à la reine, Marie-Thérèse d'Autriche (1638-1683)?
Ne s'agirait-il pas plutôt de ses proches, sa fille ou bien sa femme,
Geneviève de Laistre (1643-1708), qu'il a épousée en novembre 1673, sept
mois après avoir reçu du roi ses "lettres de naturalité" ? Un coeur semble
un peu hardi pour rendre hommage à une reine, et au moment de la gravure,
la fille de Cassini n'avait pas encore un an. Seule reste alors en lice
son épouse. Comment en attester?
L'auteur de ce dessin à la plume, réalisé en 1678, n'est autre que Jean
Baptiste Patigny, le fils même du graveur de la grande carte. L'artiste
n'avait alors que 11 ans et il a sans doute reçu l'aide de son père. Ce
dernier travaillant à l'Observatoire avec Cassini depuis 1672, il ne fait
guère de doute que les Patigny et les Cassini étaient des familles proches.
Les rapports entre les deux familles et le portrait de Clermont confortent
donc la troisième hypothèse sur l'identité de la femme dont le visage
orne la première grande carte précise de notre satellite. Son profil est
mis en valeur par un artifice qui requiert un oeil exercé. Revenons donc
aux détails perceptibles aux seuls spécialistes.
Sur la carte, la Lune a été tournée d'environ 30 degrés dans le sens des
aiguilles d'une montre par rapport à ce que l'on observe à la lunette.
Cela vraisemblablement pour redresser le visage et le mettre mieux en
valeur. Par ailleurs, cette Lune riche en reliefs ne ressemble en rien
à une image de pleine lune. En effet, quand la lumière du Soleil éclaire
le satellite de face, elle "écrase" toutes les aspérités. Aussi, pendant
huit ans, Cassini et son graveur ont observé la Lune pendant ses différentes
phases. Patigny a effectué plusieurs dizaines de dessins préparatoires
(voir à gauche, au-dessus de la carte) où il n'a représenté que ce qu'il
voyait à la frontière, nommée terminateur, entre la zone éclairée et la
zone d'ombre, là où le contraste est maximal. C'est donc morceau par morceau
que la carte a été élaborée. Par exemple, c'est autour du dixième et du
vingt-quatrième jour du cycle lunaire que le promontoire d'Héraclides
(voir à droite au-dessus de la carte) offre le plus de contrastes. Et
rien ne nous interdit de penser que Cassini y voyait alors le visage de
sa femme bien-aimée, Geneviève de Laistre. La stéganographie est l'art
de cacher un message dans un dessin de manière imperceptible de façon
que seul le récipiendaire puisse le reconnaître et le décrypter. Question:
comment la femme de Cassini a-t-elle réagi quand elle a été mise "au dessin"?
Françoise Launay
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