lundi 27 octobre 2008
L'homme gagne de justesse face à un logiciel de poker
Par coyote, lundi 27 octobre 2008 à 07:21 - Intelligence artificielle
Article de Mathieu Rached paru dans l'édition électronique du Monde du 03.08.07
Deux joueurs de poker américains de renommée mondiale, Phil Laak et Ali Eslami, viennent de se mesurer à un programme informatique littéralement bluffant, baptisé Polaris, mis au point à l'université d'Alberta, au Canada. Les deux humains ont gagné de justesse.
Cette compétition de "Texas Hold'em", variante du poker la plus jouée, a eu lieu à Vancouver, lors de la Conférence annuelle sur l'intelligence artificielle qui s'est achevée le 24 juillet. La quatrième partie, cruciale, après un match nul, une victoire pour l'ordinateur et un gain pour les humains, a tourné à l'avantage des deux humains.
Ils faisaient équipe face à deux programmes jumeaux : les cartes avec lesquelles Phil Laak jouait contre une copie de Polaris étaient les mêmes que celles distribuées à une deuxième version du logiciel qui s'opposait à Ali Eslami. Si Phil perdait à cause de mauvaises "mains" reçues, ses pertes pouvaient être équilibrées par son camarade. La part d'aléa propre aux jeux de cartes était ainsi équilibrée.
"Le poker est plus difficile pour les ordinateurs que les échecs", affirme Jonathan Schaeffer, qui a lancé le programme de recherche "poker" il y a seize ans à l'université d'Alberta. Avec 1018 combinaisons possibles, le challenge technologique paraît pourtant bien faible en regard des 10120 parties possibles au jeu d'échecs, mais c'est compter sans la puissance du bluff, longtemps considéré comme un atout propre à l'homme. "Les mathématiques du jeu prédisent que c'est une erreur de ne pas y avoir recours", souligne cependant Neil Burch, un des concepteurs du logiciel.
Une technique dont peut désormais user la machine : "Quelques "mains" ont la possibilité d'être des bluffs, Polaris le sait et décide alors de les tenter ou pas", précise encore Neil Burch. Pas de capteurs particuliers ni de caméra, le logiciel prend seulement en compte toutes les cartes et les mises d'argent. La technique principale du jeu de Polaris repose sur une "stratégie d'équilibre", qui revient à donner le moins d'argent possible au meilleur joueur.
LA PSYCHOLOGIE EST UNE FAIBLESSE
Qu'en est-il de la psychologie du joueur ? "Le logiciel n'a pas la possibilité d'estimer le caractère et les émotions de son adversaire", précise Neil Burch. "La psychologie, c'est juste une faiblesse humaine", affirme d'ailleurs le laboratoire canadien sur son site.
Contrairement à Deep Blue, le célèbre joueur d'échecs artificiel, Polaris n'avait pas bachoté. Ni les profils des joueurs ni leurs parties types n'avaient été étudiés avant cette première compétition. Un traitement du jeu froid et rigoureux, en somme, purement mathématique, qui a mis en difficulté les deux joueurs professionnels.
Ceux-ci doivent peut-être leur salut à la soif d'expérimenter des pères de Polaris. Les scientifiques ont en effet mis à profit la compétition pour lui faire endosser plusieurs profils dirigés par un logiciel maître, lors des derniers rounds, ce qui a nui à la performance finale.
Si "pour réussir, il ne suffit pas de prévoir, il faut aussi savoir improviser", comme l'a écrit Isaac Asimov, la machine a montré qu'elle était capable elle aussi d'intégrer le facteur chance dans son jeu, de choisir, et de tenir en échec l'homme au poker. Darse Billing, un des concepteurs de Polaris, entend bien améliorer le logiciel, et ne serait "pas surpris qu'il puisse l'emporter prochainement". La machine est-elle impatiente ? On peut encore raisonnablement en douter.
A voir : The University of Alberta Computer Poker Research Group
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