"L'homme qui défiait l'infini", un film de Matthew Brown raconte la vie de Srivinasan Ramanujan, un jeune mathématicien indien autodidacte, auteur de fulgurantes intuitions.
Ce film pose une des questions les plus déroutantes de l'histoire des mathématiques : d'où Srivrinasan Ramanujan tirait-il son inspiration? Comment ce jeune Indien autodidacte que rien ne prédestinait aux mathématiques a-t-il pu imaginer ces passerelles entre les nombres dont personne n'avait jusqu'ici soupçonné l'existence? La question hante tous ceux qui se sont penchés sur les milliers de formules qu'il a tracées dans ses lettres et ses carnets il y a une centaine d'années.
Au générique, défilent les longues lignes de ces arabesques très calligraphiques. L'amateur peut déchiffrer terme à terme ces suites vertigineuses de signes mathématiques plus ou moins élémentaires (sommes, produits, fractions, racines carrées d'une infinité de nombres, avec un Pi omniprésent et quelques fonctions plus sophistiquées, le tout relié par un intrépide signe égal). Le professionnel, lui, est frappé par les relations inattendues que ces signes esquissent entre des techniques mathématiques éloignées.
Des intuitions sidérantes en théories des nombres
Mais, au final, ce sont les meilleurs experts de la théorie des nombres (le domaine de prédilection de Ramanujan) qui sont les plus sidérés: mais où est-ce qu'il a pu aller chercher tout ça?
Ce fut Godfrey Harold Hardy qui, le premier, se posa la question. La scène est restée comme un des grands moments de l'histoire des mathématiques. Nous sommes en 1913, à Cambridge: l'illustre savant et son compère John Littlewood découvrent la lettre couverte de formules, sans aucune démonstration, que Ramanujan leur a envoyée depuis son petit poste de commis d'office à Madras.
Le jugement que pose alors Hardy sur ces formules en dit long sur son degré de sidération : "Elles devaient être vraies, parce que personne n'eût pu avoir l'idée de les concevoir fausses."
Le film n'a pas besoin d'en rajouter : le destin de "l'homme qui défiait l'infini" est terriblement romantique. Ramanujan est invité à Cambridge en 1913 où il travaille avec Hardy, en particulier pour démontrer ses intuitions, avant de rentrer malade en Inde en 1919, où il meurt un an plus tard à 32 ans, en n'ayant jamais cessé de tracer les mystérieuses arabesques qui inspireront des générations de mathématiciens.
Les formules confiées par une déesse
Face à l'insistance de Hardy, Ramanujan a pourtant esquissé une réponse: ses formules sont déposées la nuit sur ses lèvres par Namagiri Thayar, la déesse de sa famille. Humour typiquement anglais? Et Hardy de répondre: "Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en toi."
Cent ans plus tard, le mystère Ramanujan reste toujours entier, même pour les meilleurs spécialistes. Mais ce biopic soigné - belle distribution, beaux décors, description réaliste de l'activité mathématique - a le mérite de montrer ce qui peut l'être... car Ramanujan voyait des choses que personne d'autres ne voit.
D'après Science & Vie n°1194 (mars 2017)