lundi 25 janvier 2010
Une amibe championne de l’organisation
Par Didier Müller, lundi 25 janvier 2010 à 07:20 - Nature
Article de Lucia Sillig parue dans Le Temps du 22 janvier 2010
Pour obtenir le meilleur rapport coût, efficacité, résistance: suivez la moisissure. C’est ce qu’ont fait des chercheurs japonais et britanniques, qui publient leurs travaux aujourd’hui dans Science. Ils ont placé sur une surface humide des flocons d’avoine, dans la même disposition que Tokyo et les agglomérations voisines. Puis ils ont observé le développement d’une amibe gluante. Le résultat obtenu ressemble curieusement au réseau ferroviaire de la capitale nippone. La stratégie d’approvisionnement de la moisissure pourrait ainsi inspirer les êtres humains, pour améliorer leurs propres réseaux.
Physarum polycephalum est une amibe unicellulaire, où plusieurs noyaux sont en suspension dans un même volume. Lorsque les sources de nourritures sont éparpillées, elle les connecte de manière efficace, avec un réseau d’une longueur totale relativement faible, tout en assurant une distance moyenne minimale entre deux sources. La moisissure est aussi capable d’optimiser un parcours à travers un labyrinthe. «Elle a en outre un haut degré de tolérance aux déconnexions accidentelles», souligne un des auteurs, Atsushi Tero, de l’Université de Hokkaido. Elle s’auto-organise, auto-optimise et auto-répare. De quoi faire des jaloux, notamment sur les quais de gare.
Rounds de sélection
Les mécanismes moléculaires qui permettent à Physarum polycephalum de réaliser ces prouesses sont encore mal compris. Il parvient toutefois à égaler les performances du réseau de rail de Tokyo «sans aucun système de contrôle central qui puisse lui indiquer la position relative des flocons d’avoine ou lui dire comment les relier entre eux», souligne Wolfgang Marwan, de l’Université allemande Otto von Guericke, qui analyse et commente ces résultats dans le même numéro de Science.
Créer des réseaux efficaces est essentiel pour notre société industrielle moderne, relèvent pour leur part les chercheurs, qui ajoutent que, malheureusement, les réseaux humains manquent souvent de vue d’ensemble et sont trop fréquemment tributaires d’une minimalisation des coûts faite au détriment de la résistance aux ratés. A leurs yeux, les pannes spectaculaires survenues récemment dans divers domaines, comme celui de l’approvisionnement en électricité, démontrent un besoin accru de résistance intrinsèque. «Contrairement aux systèmes d’infrastructures anthropogéniques, les réseaux biologiques ont été soumis à des rounds successifs de sélection évolutive et sont susceptibles d’avoir atteint un point auquel le coût, l’efficacité et la résistance sont bien équilibrés», argumentent-ils.
Les chercheurs ont mis au point un modèle mathématique pour simuler le comportement de la moisissure. «Ce dernier reproduit la dynamique de base des réseaux adaptatifs à travers l’interaction de règles locales», dit Wolfgang Marwan. Il constitue un point de départ pour améliorer l’efficacité et diminuer les coûts de réseaux auto-organisés sans contrôle central, comme dans la téléphonie mobile ou des réseaux dynamiques d’ordinateurs.
lu 6135 fois