samedi 16 février 2013
La science et la fraude électorale
Par Didier Müller, samedi 16 février 2013 à 22:29 - Il y a des maths là ?
La fraude électorale peut, quelques fois, prêter à sourire. Lorsque les morts votent ou que des bulletins sont découverts dans les chaussettes des assesseurs, on y verrait bien un simple fait folklorique bien peu méchant. Hélas, la fraude lorsqu'elle est élevée n'est plus qu’un jeu d'enfants, elle devient un vrai danger pour les élections voire pour le pays qui les abrite. Les jeunes démocraties sont fragilisées par la remise en cause d'élections dont les déroulements n’ont pas été surveillés de bout en bout. Les observateurs internationaux peuvent venir calmer les ardeurs des plus virulents opposants au processus démocratique, mais ils ne peuvent pas être partout.
La science s'est toujours sentie frustrée devant ce phénomène. En effet, comment évaluer le taux de fraude électorale, alors que le principe même de ce comportement est la dissimulation ? Depuis quelques années, de nouvelles méthodes sont décrites pour défricher ce terrain.
Une étude venue du froid moscovite
Ce qui au départ n'était qu'une évaluation nationale russe est devenue, au fur et à mesure de son avancement, une étude scientifique qui tient la route. L’étude fait l’objet d’un papier paru dans la célèbre revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). Elle fait suite aux élections russes de 2011 : les élections parlementaires de décembre qui ont vu la victoire du parti « Russie unie », de Vladimir Poutine. Les statistiques montrent qu’au moins 11% des votes attribués au parti majoritaire à Moscou sont issus de fraudes. Cela fait un total de 635 000 bulletins.
Réduire la fraude juste en la regardant
Afin d’évaluer le niveau de fraude, les chercheurs ont affecté de façon aléatoire des observateurs indépendants à des bureaux de vote de Moscou. Ils ont alors fait des calculs statistiques afin de définir la différence entre deux bureaux similaires, mais avec ou sans observateur.
Les résultats officiels publiés donnent Russie Unie à 46,6 % des votes à Moscou. Les résultats calculés par les chercheurs indiquent que la présence des observateurs a permis de diminuer les votes pour ce parti de 10,8% et par effet de balance d’augmenter la part des autres partis. Le parti n’aurait du récolter que 36%.
Ce chiffre est certainement la limite basse, puisqu'il considère que partout où il y a eu des observateurs aucune fraude n’a eu lieu.
Des fraudes qui modifient vraiment les élections
Ces résultats ne sont valables qu’à Moscou, cependant ils montrent que la fraude électorale n’est pas anecdotique, elle influence grandement les élections. Une modification d’un petit 5% des votes de Russie Unie dans tout le pays aurait tout simplement renversé les élections. Le parti majoritaire aurait, alors, dû composer une coalition avec d’autres partis s’il voulait rester au pouvoir.
L’expérience menée devait éviter le bourrage d’urne, une technique qui consiste à ajouter des bulletins dans les résultats afin d’augmenter la part d’un des partis candidats. 156 bureaux de vote moscovites ont été choisis parmi les 3164. Ces bureaux ont fait l’objet d’observation par une organisation non gouvernementale.
Afin de rendre les choses les plus crédibles possible, la liste de ces bureaux n’a été connue qu’au dernier moment. Observateurs et officiels ne savaient pas l’avance quels seraient les bureaux surveillés par des extérieurs.
Le travail des observateurs a consisté à s’asseoir à la table des élections et de donner des indications sur les manières de procéder au vote et au dépouillement. À la moindre activité suspecte, ils étaient en mesure d’appeler le chef de l’organisation ou d’avertir la police. Photos et vidéo ont permis de prendre note de fraudes évidentes.
Les bureaux de vote ont de mauvaises habitudes
43 bureaux de vote ont fait l’objet de fraudes manifestes. 38 ont été incapables de donner le décompte officiel des votes. 75 bureaux ont été exemplaires, aucun problème n’ayant été signalé. Certains bureaux n’ont pas permis aux observateurs de rester pendant le dépouillement, cela en dit long sur la culture locale de la démocratie. Les chercheurs ont pourtant estimé que dans la plupart des bureaux surveillés la fraude a été minimisée ou supprimée du fait de la peur engendrée par la présence des observateurs.
Références : RUBEN ENIKOLOPOV, VASILY KOROVKIN, MARIA PETROVA, KONSTANTIN SONIN, ALEXEI ZAKHAROV Field experiment estimate of electoral fraud in Russian parliamentary elections doi: 10.1073/pnas.1206770110 PNAS 8 janvier 2013 vol. 110 no. 2 448-452
Source : Sur-la-Toile
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