La chronique de Jean-Luc Nothias. Publiée le 11 juillet 2007 dans le figaro.fr.
JE N'EXISTE PAS, mais je suis visible. J'existe, mais je suis invisible. Qui suis-je ? Ce pourrait être une définition qui irait comme un gant à la fameuse « bosse des maths ». Qui n'existe pas anatomiquement parlant, mais dont certaines personnes très douées sont de toute évidence pourvues. On peut être un « boss » sans avoir de bosse. Mais il faut pour cela bosser.
Le concept de bosse des maths est né au début du XIXe siècle. Deux drôles de fées se sont penchées sur son berceau : d'une part les démonstrations ahurissantes et « magiques » des calculateurs prodiges, d'autre part les premières tentatives pour comprendre le fonctionnement du cerveau.
Côté prodige, on peut citer, en 1811, ce jeune Américain de 7 ans, Zerah Colburn, qui pouvait répondre instantanément à des questions comme « combien y a-t-il d'heures dans 7 ans, 14 jours et 40 heures ? ». « 61 696 ». « Combien y a-t-il de secondes en 25 ans ? » « 788 400 000 ». Ou ce jeune berger italien âgé de 10 ans, Vito Mangiamele, qui fut interrogé en 1837, à Paris, lors d'une séance de l'Académie des sciences. Il parvint à résoudre des opérations comme « quelle est la racine cubique de 3 796 416 ? ». En moins d'une minute, il trouva la bonne réponse, « 156 », et bien d'autres encore plus difficiles. Ce jeune Vito fut d'ailleurs au centre d'une grande bataille scientifico-médicale entre les tenants et les opposants d'une théorie appelée « phrénologie ».
« Art de reconnaître les instincts, les penchants, les talents et les dispositions morales et intellectuelles des hommes et des animaux par la configuration de leur cerveau et de leur tête. » Tout ou presque est dit dans le titre du livre de Franz Josef Gall (1757- 1828), fondateur de la phrénologie qu'il appelait d'ailleurs à l'époque « cranioscopie ». Et il eut une influence très forte à Paris, car il vint s'y fixer. Et pas seulement dans les milieux médicaux, avec Broussais, Comte et de Broca, puisque Balzac, par exemple, fut « phrénologue ».
Gall eut la première idée de sa théorie en remarquant que ses étudiants qui avaient le plus de mémoire avaient les yeux les plus proéminents ! Donc l'organe de la mémoire devait se trouver derrière les yeux. Et l'idée était que, plus développée était telle ou telle capacité, plus grosse devait être la zone du cerveau où elle résidait. Il cartographia ainsi plus d'une trentaine de protubérances pour l'amitié, la ruse, la finesse, la prévoyance, l'esprit métaphysique... Il alla jusqu'à mettre au point une méthode de diagnostic par palpation du crâne...
Plusieurs zones du cerveau sont mobilisées simultanément
C'est aussi à cette époque que, sur les mêmes « principes », un professeur de médecine italien, Cesare Lumbroso, cherche ce que l'on pourrait appeler la « bosse de la délinquance ». À l'issue d'observations et de mesures de milliers de crânes, il va jusqu'à prétendre que certaines catégories de délinquants ont leurs propres caractéristiques anatomiques sur le crâne et le visage. Un « délit de faciès » avant l'heure.
On sait aujourd'hui que tout cela est faux et archifaux. L'idée, tout aussi fausse, qu'être doué en mathématiques est un « don » de naissance, est néanmoins encore fort répandue. Pourtant, mis à part quelques cas particuliers, toutes les études montrent que nous naissons égaux devant les maths et les autres matières. Les bébés, qui ont la notion des nombres dès leur septième mois, seront à l'aise en mathématiques si on leur en donne le goût très tôt.
Une autre idée reçue qui a du mal à disparaître est celle de la localisation unique, dans notre cerveau, de telle ou telle capacité. Ainsi, il y aurait un endroit bien précis pour le calcul, une espèce de « centre des maths ». Les plus récentes études du fonctionnement cérébral par imagerie médicale montrent le contraire. Plusieurs zones du cerveau sont mobilisées simultanément lors d'une tâche mathématique.
Plus étonnant encore, les différentes opérations de calcul ne s'effectuent pas aux mêmes endroits. Ainsi, pour une soustraction, ce sont les régions préfrontale et pariétale qui vont s'activer tandis que pour une multiplication, c'est le cortex pariétal inférieur qui va intervenir.
Tout comme existe la dyslexie, les troubles du calcul appelés acalculie touchent près de 5 % des enfants. L'enfant sait compter mais ne parvient pas à effectuer une addition simple. Un trouble qui peut tout à fait se soigner. Ce qui est plus difficile à réaliser chez l'adulte, suite le plus souvent à des accidents cardiovasculaires cérébraux. Cela se traduit, par exemple, par une incapacité au calcul mental tout en pouvant réciter les tables de multiplication. Ou ne pas pouvoir donner la solution à 2 + 2 lorsque l'opération est écrite, mais le faire à l'oral. Sans que l'on sache vraiment pourquoi.
On le voit, bien des mystères restent à résoudre pour comprendre le fonctionnement du cerveau. Le dernier en date provient de l'observation en imagerie médicale, au début des années 2000, du cerveau d'un prodige du calcul mental en action. Les zones du cerveau utilisées par tout un chacun pour un calcul ne sont pas plus développées ou actives chez le prodige. Ce qui le distingue des autres est qu'il fait appel à des zones cérébrales différentes du commun des mortels. En particulier celles qui concernent la mémoire à long terme. Pourquoi ? Je ne me souviens plus...