Comment empiler des oranges pour qu’elles occupent le moins de place possible dans un emballage ? Cette question apparemment fantaisiste a intéressé Johannes Kepler et préoccupe les physiciens depuis des siècles. La réponse a de nombreuses répercussions dans la physique des matériaux granulaires. Trois chercheurs viennent de publier dans Nature une possible solution dans le cas des empilement aléatoires.
En partie pour comprendre la structure de la matière à partir de la théorie atomique mais aussi pour savoir comment stocker le plus grand nombre de boulets de canon dans un volume donné, les mathématiciens et les physiciens ont cherché depuis des siècles à déterminer comment empiler des sphères de la façon la plus efficace possible. C’est dans les écrits de Kepler que l’on trouve pour la première fois la conjecture portant son nom et qui ne fut démontrée, selon toute vraisemblance, qu’en 1998 grâce au mathématicien Thomas Hales.
D’après Kepler, l’empilement le plus efficace était celui donnant une structure cubique à face centrée que l’on connaît bien aujourd’hui en théorie des réseaux cristallins. Un tel « pavage » d’un volume par des sphères permet d’occuper environ 74% d’un volume donné.
De telles considérations sont utiles pour expliquer la densité d’un cristal par exemple, et prédire aussi dans quelle mesure on peut y introduire des atomes d’un type différent et occupant un volume sphérique plus petit que ceux ayant initialement servi pour constituer ce cristal. La conception d’alliages avec des propriétés données bénéficie des recherches sur ces questions.

Le hasard fait mal les choses
Ces analyses sont pertinentes dans les cas où l’empilement des sphères peut être réalisé de façon parfaite et bien contrôlée. Mais que se passe-t-il lorsque l’on considère, par exemple, des milieux poudreux, comme des avalanches de neiges, des cendres volcaniques qui se déposent suite à une nuée ardente, etc., qui sont des phénomènes chaotiques et turbulents ? Peut-on prédire et expliquer la compacité des dépôts observés ?
Le problème est équivalent à celui de considérer des sphères dures secouées dans un cube que l’on cesse ensuite d’agiter. En fonction des forces de frottement existant entre les sphères, quelle est la compacité de l’empilement qui se forme en moyenne ?
C’est à cette question que les physiciens Hernán Makse, Chaoming Song Wang Ping et du City College de New York ont apporté une réponse possible. Ces trois chercheurs ont modélisé statistiquement ce processus aléatoire. D'après eux, le hasard est bien moins efficace que le vendeur d'oranges qui empile soigneusement ses fruits en suivant les conseils de Kepler. Selon leurs calculs, laissées à elles-mêmes, les sphères ne peuvent emplir plus de 63,5% de l'espace disponible.

Source : Futura-Sciences