mercredi 29 août 2007
Newton devancé par les mathématiciens Hindous ?
Par Didier Müller, mercredi 29 août 2007 à 08:11 - Histoire des maths
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
On attribue généralement à Newton et à Leibniz la découverte de ce qui est probablement le plus puissant outil mathématique à la disposition de l’esprit humain : le calcul différentiel et intégral. Comme le montre George Gheverghese Joseph de l’University of Manchester, certains des résultats obtenus à l’aide de l’analyse infinitésimale à partir de la fin du 17ième siècle en Europe, étaient déjà connus des mathématiciens de l’école du Kerala, au sud-ouest de l’Inde, vers 1 400. Selon lui, on ne peut d’ailleurs pas écarter la possibilité qu’une partie de l’inspiration de Leibniz et Newton ne provienne de la transmission des travaux de Madhava et Nilakantha en Occident par les jésuites.
La brillance de l’école Indienne en mathématiques est reconnue depuis longtemps mais l’importance des résultats découverts dans le domaine du calcul différentiel et intégral par l’école du Kerala est curieusement assez mal appréciée et rarement citée. Pourtant, c’est dès 1835 que l’anglais Charles Whish avait attiré l’attention du monde savant en publiant un article sur quatre traités de mathématiques et d’astronomie Hindous de l’école du Kerala, ceux de Nilakantha (Tantra Samgraha), Jyesthadeva (Yuktibhasa), Putumana Somayaji (Karana Paddhati) et enfin le Sadratnamala de Sankara Varman.
Dans cet article, et certainement à son grand étonnement, il insistait sur le fait que les mathématiciens et astronomes de cette partie de l’Inde avaient non seulement jeté les bases d’un calcul différentiel et intégral mais qu’ils étaient aussi en possession de résultats obtenus des siècles après eux en utilisant les algorithmes du calcul infinitésimal de Newton et Leibniz. Ils connaissaient en effet, par exemple, les développements en séries de Gregory et Leibniz pour la fonction arctangente et ceux des fonctions sinus et cosinus généralement attribués à Mac-Laurin et Newton.
Ces résultats semblent tous venir d’un seul et même mathématicien né en 1350, Madhava de Sangamagramma, qui semble avoir bénéficié d’un génie comparable à son compatriote Srinivasa Aiyangar Ramanujan. Curieusement, et même si des centaines d’années les séparent, ce dernier était né à 400 km au sud-ouest de Chennai (Madras) dans l’état du Tamil Nadu. C'est-à -dire pas très loin du lieu de naissance de Madhava, Kochi, au Kerala. Il y a d’ailleurs certaines similarités entre les approches de Ramanujuan et Madhava, or il semble que la mère de Srinivasa Ramanujan possédait des connaissances assez profondes en mathématiques propres à la tradition Hindou. La connexion entre les deux génies est-elle autre chose que géographique ?
Une transmission à l'Occident ?
Joseph avait déjà publié un livre en 1994 pour lutter contre un certain eurocentrisme ayant tendance à minimiser l’importance des découvertes mathématiques en dehors de l’Occident.
Ce livre avait déjà pour but de faire plus largement connaître l’école de mathématiques du Kerala. Malheureusement, celui-ci n’avait pas eu un écho suffisant à ce sujet et c’est à l’occasion d’une troisième réédition, ainsi que suite à la découverte d’un nouveau document sur les accomplissements de ces mathématiciens dans le domaine de l’analyse, que Joseph revient à la charge.
Une des possibilités ouverte par ce livre est fascinante. Il faut savoir que le Kerala a toujours été l’un des états les plus riches et les plus civilisés de l’Inde. Déjà à l’époque de l’empire Romain, les bateaux européens accostaient ses berges pour rapporter des épices, ce qui fait qu’il n’est pas rare d’y trouver de grandes quantités de pièces frappées à l’effigie des empereurs. Surtout, en 1495, Vasco de Gama arrive à Calicut. Les jésuites s’implantent dès lors en Inde et commencent à étudier et traduire les textes Hindous. Un siècle plus tard Grégoire XIII lance la révision du calendrier. Or, dans le comité chargé de celle-ci se trouve le jésuite, mathématicien et astronome Clavius dont on sait qu’il avait demandé à ce que l’on examine systématiquement la façon dont les autres pays établissaient leur calendrier. Il semble donc très probable que les découvertes des mathématiciens et astronomes du Kerala aient ainsi été rapportées en Europe même si aucune preuve n’existe à ce jour.
Toujours est-il que l’emploi des séries infinies, et de certaines démonstrations, très similaires à celles de l’école du Kerala, commencent à faire leur apparition en Occident quelques dizaines d’années plus tard. Coïncidences ? Les archives du Vatican contiennent peut-être la réponse.
Des précurseurs ?
Peut-on vraiment considérer les Hindous comme des précurseurs et des devanciers de Newton et Leibniz, voire même leur inspirateurs secrets ?
Précurseurs certainement, devanciers, à part pour certains résultats particuliers, probablement pas, même si des textes surprenants dorment peut-être encore quelque part.
Il faut savoir que des notions de calcul différentiel et intégral avec des séries infinies étaient déjà présentes chez Archimède. De plus, il n’y a pas à proprement parler d’algorithmes généraux du calcul différentiel et intégral dans les travaux des mathématiciens Indiens. Les travaux de Leibniz et Newton sont beaucoup plus larges et même en imaginant une influence directe sur eux des découvertes de Madhava, ils sont allés au-delà .
Les circonstances des découvertes de Leibniz et Newton sont assez bien documentées et les sources pointent toutes en direction des travaux d’Archimède, de façon directe ou indirecte. Il est bien connu, de plus, que c’est en lisant les travaux de Pascal sur le problème de la cycloïde que Leibniz a pris conscience de la relation liant primitive d’une fonction et problème de quadrature d’une aire : il n’y avait pas de lien direct avec une série infinie.
Reste que les performances des mathématiciens de l’école du Kerala sont spectaculaires et méritent à juste titre d’être universellement reconnues. Incontestablement, leurs noms doivent maintenant figurer au panthéon des grands mathématiciens de l’humanité avec Archimède et Al-Khwarizmi.
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