Le carnet secret de Descartes
Amir Aczel
Edition Lattès

Décodée par Amir D. Aczel, la vie du père du rationalisme, avec ses mystères et ses coups de théâtre, s'avère un haletant suspense.

L'Histoire retient parfois de nos vies ce que nous n'aurions sans doute pas conservé nous-mêmes. Ainsi, qui sait que l'inventeur du cogito ne s'est tourné vers la philosophie que sur le tard? Que son fameux Discours de la méthode ne devait être, en réalité, que l'introduction à un ouvrage scientifique? René Descartes, qui, lorsqu'il habitait Amsterdam, passait chaque jour chez les bouchers pour disséquer les carcasses, était plus passionné de géométrie, d'algèbre, d'optique (il découvrit la loi de la réfraction de la lumière), et même de médecine, que de métaphysique. Le philosophe que l'on a réduit à une formule latine a été le précurseur des mathématiques modernes: il inventa la géométrie analytique. C'est à lui que nous devons, quatre siècles plus tard, la technologie du GPS, qui nous permet de nous repérer n'importe où sur le globe. L'histoire de la vie du philosophe, racontée par Amir Aczel dans Le Carnet secret de Descartes, avec ses codes, ses sociétés secrètes, ses cabales, vaut tous les Da Vinci Codes. Et l'auteur lève enfin le mystère sur la double vie du père du rationalisme.
Le 1er juin 1676, Leibniz, le grand philosophe et mathématicien allemand, tout juste arrivé à Paris de sa ville de Hanovre, frappa à la porte d'un certain Claude Clerselier. L'inventeur du calcul infinitésimal avait entendu dire qu'à sa mort, vingt-six ans plus tôt, Descartes avait laissé des documents dont il n'avait jamais parlé à quiconque. Après quatre années de recherches, Leibniz venait enfin de localiser le manuscrit chez un homme qui avait brièvement connu l'auteur du Discours de la méthode. Que ce document ait survécu près de trente ans à la mort du philosophe en Suède relevait du miracle: le navire qui rapportait en France les affaires de Descartes avait coulé.
Avec une extrême réticence, Clerselier ouvrit sa porte au jeune homme. Il lui remit un manuscrit. Mais, en lisant ce document, Leibniz «comprit que Descartes avait projeté d'écrire un livre sur une importante découverte mathématique sous couvert d'un pseudonyme», raconte Amir Aczel. Clerselier finit par admettre qu'il avait en sa possession un autre carnet. «Je l'ai étudié pendant des années, dit-il à Leibniz, mais rien de ce qu'il contient, symboles, dessins, formules, n'a de sens.» Après avoir fait jurer à son visiteur de ne jamais révéler ce secret, Clerselier lui remit un parchemin de 16 pages. «Certains symboles ressemblaient à ceux qui étaient alors associés à l'alchimie et à l'astrologie», raconte Aczel. Leibniz, comprenant qu'il fallait faire vite, travailla à déchiffrer le code de Descartes tout en recopiant le document. Peu de temps après, le carnet disparut à tout jamais. Peu importait. Le mathématicien avait percé le mystère de ces symboles et de ces chiffres: Descartes jetait les bases de l'une des branches essentielles des mathématiques modernes, la topologie.

Il fut mis à l'Index malgré ses précautions
Mais, alors qu'il aurait dû claironner urbi et orbi sa découverte, Descartes préféra la cacher. Pis: en 1633, il interrompt brusquement tous ses travaux scientifiques - en juin de cette même année, Galilée a été condamné par l'Inquisition et le philosophe juge alors plus prudent de se tourner vers la métaphysique.
Peine perdue: alors que, tout au long de sa vie, il avait pris un soin méticuleux pour éviter toute controverse avec l'Eglise, Descartes fut mis à l'Index en 1663. Ses œuvres ne seront plus éditées pendant cent cinquante ans. Le livre passionnant d'Amir Aczel nous fait (re) découvrir un personnage qui avait, jusqu'au bout, suivi la devise qu'il s'était choisie: «Bene vixit, bene qui latuit». Pour vivre heureux, vivons cachés.

Jean-Sébastien Stehli pour TV5Monde