Bien s’y connaître en mathématiques n’immunise pas contre les mirages des jeux de hasard

Par Jean Hamann

La connaissance des mathématiques ne constitue pas un rempart efficace contre les écueils des jeux de hasard, démontre une étude publiée par des chercheurs de l’École de psychologie dans un récent numéro de l’International Journal of Psychology. À un point tel que les auteurs de l’étude, l’étudiante-chercheuse Marie-France Pelletier et le professeur Robert Ladouceur, s’interrogent sur la pertinence d’inclure des notions de mathématiques dans les programmes de prévention du jeu excessif.
Les deux chercheurs ont évalué les croyances erronées et les comportements irrationnels face au jeu chez deux groupes de sujets très distincts sur le plan de leurs rapports aux chiffres. Le premier groupe était formé de 30 étudiants universitaires inscrits en actuariat, mathématiques, statistique ou génie, des programmes à forte composante mathématique. Le second, qui comptait également 30 sujets, était constitué d’étudiants provenant de programmes d’arts, d’histoire, de littérature et de philosophie qui n’avaient suivi aucun cours de maths à l’université. Un test de cinq questions portant sur les probabilités a confirmé l’écart de connaissances entre les deux groupes: le score moyen des premiers était de 2,7, alors que les seconds obtenaient à peine 0,4 sur 5.
Malgré leur bagage mathématique, les matheux entretiennent plus de croyances erronées dans la notion de hasard que l’autre groupe d’étudiants, a révélé un test standard administré par les chercheurs. Invités par la suite à générer une séquence de 100 «pile ou face» conforme à celle que produirait le hasard, 70 % des étudiants du groupe maths ont eu recours à une stratégie pour y arriver, contre 50 % des sujets de l’autre groupe. Il y a stratégie lorsque le participant essaie d’équilibrer le nombre de piles et de faces ou encore lorsqu’il évite les séquences répétitives ou les alternances régulières, comme si la notion de hasard excluait tout patron de régularité. Or, pour reproduire fidèlement le hasard, il faut réussir à faire abstraction des résultats obtenus précédemment, et non s’en inspirer, chaque événement étant indépendant de ce qui s’est produit auparavant. «Les erreurs commises par les étudiants du groupe mathématiques ne proviennent pas d’un manque de connaissances du hasard, mais de la difficulté à appliquer concrètement ce concept», écrivent les chercheurs.
Enfin, les participants étaient conviés à participer à un jeu de loterie vidéo qui récompensait l’obtention d’une série de symboles identiques. Les joueurs pouvaient laisser l’appareil générer automatiquement les symboles ou ils pouvaient stopper le défilement en touchant l’écran tactile ou en pressant un bouton d’arrêt. Comme ces interventions n’avaient aucune incidence sur l’issue du jeu, y recourir constitue un comportement irrationnel, estiment les chercheurs. Leurs observations indiquent que les étudiants de deux groupes utilisent tout aussi souvent l’écran tactile ou le bouton d’arrêt. Par contre, les matheux ont spontanément joué plus de parties que l’autre groupe d’étudiants, soit 172 contre 129.
La plupart des programmes de prévention du jeu excessif incluent des notions de base en mathématiques qui initient les participants aux concepts de chance, de statistiques et de probabilités. La connaissance des mathématiques, croyait-on, devait aider les joueurs à développer leur jugement critique et à éviter les pièges du jeu excessif. «Nos résultats indiquent que l’importance des connaissances en mathématiques en tant que facteur de protection contre le jeu de hasard excessif doit être remise en question», résument les deux chercheurs.

Source : Au fil des événements, Le journal de la communauté universitaire, Université de Laval, ÉDITION DU 22 NOVEMBRE 2007, Volume 43, numéro 12