Mélancolie I, Albrecht Dürer, 1514

Extrait d'une analyse du blog Par les mots :

(…) Progressivement, DÜRER se détachera de la peinture pour s’intéresser au procédé diabolique de la gravure : technique lui permettant de diffuser l’œuvre d’Art mais surtout de contrarier l’œuvre unique. C’est à 43 ans qu’il grave sur cuivre : MELENCOLIA I, production au premier abord austère, mystérieuse, énigmatique, presque initiatique par la charge de ses symboles. DÜRER est passionné d’alchimie.
Mon œil se pose sur le protagoniste au regard fixe et intense, se tenant la tête de la main gauche d’un air désabusé ; homme, femme, ange ? Me voici face au visage de la mélancolie, tristesse vague, mal doux qui touche tout le monde... Mon regard se perd, ne sait où se poser.
L’œuvre m’impose une analyse minutieuse de chaque objet, seul moyen de saisir le message de l’artiste. Les objets évoquent le métier d’architecte, la menuiserie ou la géométrie, signifiant l’art et la science : ce sont des instruments qui permettent de mesurer, de tracer, de polir des surfaces mais aussi de créer ce que se représente la faculté imaginative. Cette mise en relation de la mélancolie et de la géométrie me renvoie à Saturne, planète qui les gouverne toutes deux et ce fait rend compte aussi de leur fusion ; l’une dotée d’une âme, l’autre d’un esprit. « Melencolia I » serait donc une première phase. Celle de l’introspection et de la pensée sans activité. Y aurait-il alors une ascension qui passerait par une mélancolie II ? L’imaginaire qui côtoierait le rationnel pour aboutir à une construction mentale ?
Les attributs sont particuliers : un compas pointant sur le nœud emblématique de la sexualité. Est-ce pour m’induire en erreur ou bien me dévoiler le cœur du problème ? Pourtant, le compas, image de la circonférence me laisse aussi supposer que la Mélancolie est un cercle vicieux d’où l’on ne sort pas !
À ses pieds, la Mélancolie dispose d’instruments permettant d’envisager les questions essentielles : le rabot et la scie, symbole de la perfection, les clefs signifiant la sagesse, les clous pour la passion... Mais aussi la meule traçant le destin de chacun, le marteau pour construire sa vie, la lampe à huile génitrice de vie et le chien osseux image de la mort.
L’échelle ne va nulle part, ni ne commence d’ailleurs. Et la perspective annonce qu’il n’y a pas qu’un seul chemin de vie… En revanche, la mélancolie est stable, posée devant le carré où l’échelle du temps est appuyée.
De la pleine maturité psychologique de l’auteur émergent les questions fondamentales.
Foisonnent sur ce carré de multiples objets, déterminant l’état même de la mélancolie : balance entre-deux, sablier à égalité, (en « milieu de vie », moment propice à la mélancolie ?), comme l’indication d’une obsession à voir le temps s’écouler, le temps paraît suspendu « temps entre les temps » ; cloche dans l’attente d’une éventuelle agitation et qui n’arrive pas à saisir autre chose qu’un éternel présent. (...)

Voici un agrandissement du carré magique situé au-dessus de l'ange. Remarquons déjà que l'année 1514 se retrouve dans les deux cases centrales de la dernière ligne du carré. Plus que magique, ce carré est "diabolique" (la même constante magique peut être trouvée non seulement dans les lignes, les colonnes et les diagonales, mais aussi dans une variété de configurations régulières et géométriques):

Les quatre coins donnent 34.
Les quatre cases au centre aussi.
Idem pour 2, 3, 15, 14
Si on partage le carré 4x4 en quatre carrés 2x2, on trouve encore 34: 34 = 16+3+5+10 = 2+13+11+8 = 9+6+4+15 = 7+12+14+1
On trouve aussi 9+15+2+8 = 34
etc.

A lire aussi: Christine Salvadé, Le blues du scientifique selon Albrecht Dürer, Le Temps, 23 juillet 2005